Il faudra bien que je leur dise...
Il faudra bien que je leur dise. Je viens d’avoir ma puce au téléphone et je m’aperçois bien que c’est aussi dur, voire plus dur, pour les autres, d’apprendre cette nouvelle. Je m’en rends compte maintenant. Lorsque quelqu’un vous annonce qu’il a un cancer, vous vous sentez complètement démuni, car vous aimeriez alors vous battre contre quelque chose, mais vous ne savez pas quoi. Le malade a sa maladie, finalement déjà un bel objectif de combat. Mais les autres, ceux qui sont sains ? Rien. Alors chacun y va de sa parade. Pour les uns, c’est une profusion d’encouragements. Pour d’autres, c’est profusion d’infos (« J’ai lu sur le net que 90% des malades guérissent »). Pour d’autres encore s’engage une recherche effrénée dans leur entourage de tous les cas s’étant terminés positivement. « Le fils de mon boucher a eu la même maladie à ton âge, et maintenant, il a deux enfants. »
Je n’en veux pas aux autres d’être aussi maladroit, je le serais tout autant. Mais quel bonheur de recevoir, de temps en temps, parmi les encouragements, un témoignage sobre de simple amitié. Simplement dire que l’on pense à moi, et que je peux appeler ou écrire ou passer lorsque bon me semble. Faire comprendre que l’on ne s’accapare pas ma maladie pour exercer ses dons de bon samaritain, mais simplement que l’on est là. En cas de doute. En cas de problème. N’importe quoi.
Que le fils du boucher soit guéri, je m’en fous. Comme si on allait pouvoir tirer des conclusions statistiques après analyse d’un seul échantillon. Mais c’est normal. C’est normal. En sachant que le fils de son boucher est guéri, la personne se rassure, et ça, je ne peux pas le lui reprocher ! Mécanisme d’autodéfense. Mais ce qu’elle ne voit pas, ou ne veut pas voir, c’est qu’elle ne me rassure aucunement en me racontant cela.
Il faudra bien que je leur dise. J’y réfléchi dans la voiture, pendant que je rentre chez mes parents qui m’hébergent en ce moment. Ca commence à chauffer dans ma tête, je cherche la meilleure formule. Une formule sobre, mais qui laisse tout de même entendre le sérieux du problème. A vrai dire, sobriété et sérieux ne sont pas incompatible.
« C’est un lymphome de Hodgkin.» Finalement, la technique du docteur est la meilleure. Direct, sans fioriture, dit sur un ton neutre. Je sais qu’à ce moment là, mes parents se contrôlent pour ne pas avoir une expression trop dramatique sur leur visage. J’écourte le souffrance de ne pas savoir quoi dire en commençant à raconter le rendez-vous avec le docteur, et ce qui va se passer par la suite. Je ne sais pas trop s’ils m’écoutent, mais au moins, ça leur laisse le temps d’avaler la pilule.
Il faut que je me défoule. Je prends mon vélo et pars faire un tour dans la campagne environnante. Et si je ne pouvais plus faire de sport pendant la chimio ? Mieux vaut ne pas y penser. C’est tellement important pour moi. Je veux me rassurer en me disant que je me remettrai à la guitare. Mais le cœur n’y est pas vraiment.